Et si on parlait d’un mal sournois, insidieux et rarement reconnu comme une maladie professionnelle. Je ne vous parle pas de celui qui vous cloue au lit après des mois de surcharge physique ou émotionnelle, ou encore du syndrome d’épuisement classique que l’on attribue le plus souvent aux salariés ou aux cadres en arrêt pour surmenage. Que nenni ! Ici, je vous parle d’un épuisement bien plus silencieux, mais tout aussi pernicieux, celui de l’entrepreneur qui ne supporte plus de remplir un seul CERFA de plus. Eh oui, je veux bien sûr parler du burn-out administratif. Si vous vous posiez la question, sachez que oui, il existe vraiment.
Quand le travail tue la passion…
En règle générale, on se lance dans l’entrepreneuriat pour créer, transmettre et être libre. Malheureusement, on découvre aussi très vite une face cachée du métier : l’administratif. Et ce n’est pas anodin, parce que ce processus est permanent, quotidien, et je dirais même vital pour l’entreprise. Pourtant, il n’en reste pas moins totalement chronophage, anxiogène et rarement formateur de joie.
Pour un grand nombre d’entrepreneurs, il ne s’agit pas uniquement d’un simple ras-le-bol temporaire. Ce type de burn-out peut tout à fait se manifester par un état de saturation, de stress ou d’irritabilité. Vous ne créez plus. Vous ne développez plus votre activité. Vous êtes prisonnier de vos emails, de vos relances clients, de vos échéances, de vos obligations, j’en passe et des meilleurs. Et forcément, au bout d’un moment, vous commencez à ressentir un sentiment justifié d’inutilité.
Contrairement à ce que vous pourriez penser, nombreux sont les professionnels brillants à perdre pied non pas à cause de leur métier, mais à cause de l’organisation autour dudit métier. Ils ont beau avoir une multitude de clients à satisfaire, ils n’ont aucune énergie pour répondre aux demandes parce que leur cerveau est noyé dans les papiers.
Comment se manifeste le burn-out administratif ?
Le burn-out administratif n’est pas comme le burn-out traditionnel. Pour tout vous dire, il a des symptômes qui lui sont propres et qui ne ressemblent pas toujours à ce que décrit l’échelle de Maslach (même si certains critères s’en rapprochent).
Le plus souvent, il s’agit notamment :
- d’une fatigue mentale après seulement 20 minutes de paperasse ;
- de tâches simples, comme répondre à un email, qui deviennent insurmontables ;
- d’une perte de motivation dès qu’il s’agit de se connecter à un outil fiscal, social ou comptable ;
- d’un besoin compulsif de tout remettre au lendemain;
- de rejeter des tâches liées à la gestion de l’activité (bilans, déclarations, contrats, etc.) ;
- d’un désengagement progressif, y compris face à des actions importantes.
Mais surtout, le symptôme le plus évident est sans doute la sensation d’être seul face à un système incompréhensible et conçu pour des employeurs expérimentés, pas pour des créatifs, des freelances ou des artisans.
Quel est le risque silencieux du burn-out administratif ?
Le burn-out administratif est dangereux dans le sens où il n’interrompt pas le corps tout de suite. Contrairement au burn-out classique, il laisse l’entrepreneur fonctionner en mode pilote automatique, même avec un haut niveau de fatigue et un état émotionnel qui se dégrade. Il va sans dire que les conséquences administratives peuvent en plus être désastreuses sur l’entreprise et l’entrepreneur lui-même (dettes, etc.).
C’est un mal d’autant plus pernicieux qu’il n’est pas vraiment reconnu, y compris en France. Il n’y a aucune réelle prise en charge pour ce syndrome, ce qui rend les choses encore plus compliquées. Pas de médecine du travail. Pas de reconnaissance auprès de la Sécurité sociale. Le burn-out administratif est à part et n’est pas considéré comme un réel problème.
Bien sûr, il reste possible de consulter un médecin pour poser un diagnostic et obtenir un arrêt, sur la base du burn-out traditionnel. Après tout, les effets délétères sont bien réels. De même, il ne faut pas hésiter à s’entretenir avec un psychologue pour mettre en place des actions concrètes.
Pourquoi les entrepreneurs sont-ils exposés au burn-out administratif ?
Malgré son image de liberté, l’entrepreneuriat n’est pas un long fleuve tranquille et repose sur une relation constante avec l’administration. Et quand je dis constante, je pèse mes mots, surtout pour certains statuts juridiques.
De la création de l’entreprise à la déclaration d’activité, en passant par l’embauche, la modification ou la cessation, chaque étape implique des processus, des papiers à remplir, et des obligations qui demanderaient parfois un guide rien que pour être comprises. Lorsque j’ai dû passer mon activité à la TVA, j’ai cru tomber dans un puits sans fond. Je ne comprenais absolument rien à ce que je lisais et je n’avais pas les moyens de faire appel à un expert-comptable. J’ai donc dû faire face, non sans remettre ma première déclaration au lendemain aussi longtemps que j’ai pu.
Parce qu’on a tendance à oublier une chose quand on crée une entreprise, c’est qu’on ne naît pas chef d’entreprise avec un master en droit du travail et en fiscalité. On apprend sur le tas. Et souvent, on apprend mal, ou on apprend à nos dépens. Tout ce travail invisible peut vite devenir une charge insoutenable, qui prend du temps sur la vie personnelle, qui empêche de se déconnecter le soir, et qui ravage notre santé mentale quand on ne sait plus par quel bout commencer.
Mais comment agir avant le burn-out administratif ?
Je ne vais certainement pas vous surprendre, mais il n’y a pas de recette magique pour éviter le burn-out administratif. Vous pouvez juste vous tourner vers quelques actions efficaces qui vous permettront de ne pas sombrer.
- Déléguez l’administratif dès que (ou si) vous le pouvez, que ce soit auprès d’un comptable, d’un assistant virtuel, ou d’un ami de confiance. Il suffit de quelques heures par mois pour tout changer.
- Organisez-vous mieux, en prévoyant par exemple un jour fixe par semaine dédié à l’administratif, avec une playlist motivante, votre boisson préférée, et personne pour venir vous importuner.
- Munissez-vous d’outils, car après tout, ce ne sont pas des plateformes qui manquent aujourd’hui. Gestion, automatisations, comptabilité, il existe de nombreux services très abordables qui peuvent devenir vos alliés.
- Ne restez pas seul et parlez à d’autres entrepreneurs. S’il subsiste un vrai tabou autour de ce sujet, vous seriez surpris du nombre de personnes concernées. Pourquoi ne pas vous inscrire par exemple dans un groupe d’entrepreneurs?
- Formez-vous. Je sais, ce n’est pas très vendeur, mais comprendre les bases de votre statut, des déclarations que vous devez faire et de vos droits réduira sans doute le stress lié à l’incertitude.
Et si malgré toutes ces précautions, rien ne s’améliore, faites une pause. Même courte. Votre vie et votre santé mentale valent bien plus que votre activité.
Le burn-out administratif est une conséquence du système
Je terminerai cet article par un message qui me paraît nécessaire. Le burn-out administratif ne dit rien de votre valeur. Et il ne dit rien non plus de votre compétence ni de votre capacité à mener une entreprise. Il révèle surtout une chose : le système n’est pas fait pour vous simplifier la vie.
Ce risque psychosocial devrait être nommé, visibilisé et reconnu dans les accompagnements à la création d’entreprise, car on ne parle jamais de ce que ça fait émotionnellement de gérer un stress administratif permanent, d’avoir peur d’un contrôle, d’un courrier, d’un coup de téléphone, etc.
